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JACQUES.—J’y verrai ma propre figure.

ORLANDO.—Que je prends pour celle d’un fou, ou d’un zéro en chiffre.

JACQUES.—Je ne reste pas plus longtemps avec vous, bon signor l’Amour.

ORLANDO.—Je suis charmé de votre départ : adieu, bon monsieur la Mélancolie.

(Célie et Rosalinde s’avancent.)

ROSALINDE.—Je veux lui parler du ton d’un valet impertinent, et sous cet habit jouer avec lui le rôle d’un vaurien. (A Orlando.) Holà, garde-chasse, m’entendez-vous ?

ORLANDO.—Très-bien : que voulez-vous ?

ROSALINDE.—Que dit l’horloge, je vous prie ?

ORLANDO.—Vous devriez plutôt me demander à quelle heure du jour nous sommes, il n’y a pas d’horloge dans la forêt.

ROSALINDE.—Il n’y a alors pas de vrais amants dans la forêt ; autrement, les soupirs qu’ils pousseraient à chaque minute, les gémissements qu’on entendrait à chaque heure marqueraient les pas paresseux du temps aussi bien qu’une horloge.

ORLANDO.—Et pourquoi ne dites-vous pas les pas légers du temps ? Cette expression n’aurait-elle pas été aussi convenable ?

ROSALINDE.—Point du tout, monsieur : le temps chemine d’un pas différent, selon la différence des personnes : je vous dirai, moi, avec qui le temps va l’amble, avec qui il trotte, avec qui il galope et avec qui il s’arrête.

ORLANDO.—Voyons : dites-moi, je vous prie, avec qui il trotte ?

ROSALINDE.—Vraiment, il va le grand trot avec la jeune fille, depuis le jour de son contrat de mariage, jusqu’au jour qu’il est célébré : quand l’intervalle ne serait que de sept jours, le pas du temps est si pénible, qu’il semble durer sept ans.

ORLANDO.—Avec qui le temps va-t-il l’amble ?

ROSALINDE.—Avec un prêtre qui ne sait pas le latin, et avec un homme riche qui n’a pas la goutte : le premier dort tranquillement, parce qu’il n’étudie pas ; et le second mène une vie joyeuse, parce qu’il ne sent aucune peine :