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l’autre, encore plus étrangers que nous ne sommes.

JACQUES.—Ne gâtez plus les arbres, je vous prie, en écrivant des chansons d’amour sur leurs écorces.

ORLANDO.—Ne gâtez plus mes vers, je vous en prie, en les lisant d’aussi mauvaise grâce.

JACQUES.—Rosalinde est le nom de votre maîtresse ?

ORLANDO.—Oui, précisément.

JACQUES.—Je n’aime pas son nom.

ORLANDO.—On ne songeait guère à vous plaire, lorsqu’elle fut baptisée.

JACQUES.—De quelle taille est-elle ?

ORLANDO.—Toute juste aussi haute que mon cœur.

JACQUES.—Vous êtes plein de jolies réponses. N’auriez-vous pas connu les femmes de quelques orfèvres, et ne leur auriez-vous pas escamoté leurs bagues ?

ORLANDO.—Pas du tout.—Mais je vous réponds en vrai style de toile peinte[1] ; c’est là que vous avez étudié les questions que vous me faites.

JACQUES.—Vous avez un esprit bien agile, je crois qu’il est fait des talons d’Atalante. Voulez-vous vous asseoir avec moi et nous déclamerons tous deux contre nos maîtresses, contre le monde et notre mauvaise fortune ?

ORLANDO.—Je ne veux censurer aucun être vivant dans le monde, que moi seul à qui je connais le plus de défauts.

JACQUES.—Le plus grand défaut que vous ayez est d’être amoureux.

ORLANDO.—C’est un défaut que je ne changerais pas contre votre plus belle vertu. Je suis las de vous.

JACQUES.—Par ma foi, je cherchais un fou quand je vous ai trouvé.

ORLANDO.—Il est noyé dans le ruisseau : tenez, regardez dans l’eau, et vous l’y verrez[2].

  1. Tapisseries à personnages de la bouche desquels sortaient des sentences imprimées.
  2. Y a-t-il longtemps que tu n’as vu la figure d’un sot ? Puisque mes yeux te servent si bien de miroir. (Mariage de Figaro.)