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d’eux, que tous les spectateurs le plaignent en pleurant.

ROSALINDE.—Hélas !

TOUCHSTONE.—Mais, monsieur, quel est donc l’amusement que les dames ont perdu ?

LE BEAU.—Hé ! celui dont je parle.

TOUCHSTONE.—Voilà donc comme les hommes deviennent plus sages de jour en jour ! C’est la première fois de ma vie que j’aie jamais entendu dire que de voir briser des côtes était un amusement pour les dames.

CÉLIE.—Et moi aussi, je te le proteste.

ROSALINDE.—Mais y en a-t-il encore d’autres qui brûlent d’envie de voir déranger ainsi l’harmonie de leurs côtes ? Y en a-t-il un autre qui se passionne pour le jeu de brise-côte[1].—Verrons-nous cette lutte, cousine ?

LE BEAU.—Il le faudra bien, mesdames, si vous restez où vous êtes ; car c’est ici l’arène que l’on a choisie pour la lutte, et ils sont prêts à l’engager.

CÉLIE.—Ce sont sûrement eux qui viennent là-bas : restons donc, et voyons-la.

(Fanfares.—Entrent le duc Frédéric, les seigneurs de sa cour, Orlando, Charles et suite.)

FRÉDÉRIC.—Avancez : puisque le jeune homme ne veut pas se laisser dissuader, qu’il soit téméraire à ses risques et périls.

ROSALINDE.—Est-ce là l’homme ?

LE BEAU.—Lui-même, madame.

CÉLIE.—Hélas ! il est trop jeune ; il a cependant l’air de devoir remporter la victoire.

FRÉDÉRIC.—Quoi ! vous voilà, ma fille, et vous aussi ma nièce ? Vous êtes-vous glissées ici pour voir la lutte ?

ROSALINDE.—Oui, monseigneur, si vous voulez nous le permettre.

FRÉDÉRIC.—Vous n’y prendrez pas beaucoup de plaisir, je vous assure : il y a une si grande inégalité de forces entre les deux hommes ! Par pitié pour la jeunesse de l’agresseur, je voudrais le dissuader ; mais il ne veut pas

  1. Côtes rompues, musique rompue, analogie entre la flûte inégale de Pan, et la disposition anatomique des côtes.