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Mais, chère Catherine, daigne épargner mes ridicules, d’autant plus, aimable princesse, que je t’aime à la fureur. Si jamais tu es à moi, Catherine (et j’ai en moi une ferme foi, qui me dit que cela sera), comme je t’aurai conquise par la victoire, il faut que tu deviennes une mère féconde de bons soldats. Est-ce que nous ne pourrons pas, toi et moi, entre saint Denis et saint George, former un garçon, moitié français et moitié anglais, qui aille un jour jusqu’à Constantinople et y tire la barbe du Grand-Turc[1]. Hem ! que dis-tu à cela, ma belle fleur de lis ?

Catherine. — Je ne sais pas cela.

Le roi. — Non, pas à présent ; c’est dans la suite que tu le sauras : mais aujourd’hui tenons-nous-en à la promesse. Promettez-moi donc seulement, belle Catherine, que de votre côté vous ferez bien votre rôle de Française, pour former un tel héritier ; et pour ma moitié anglaise du rôle, recevez ma parole, foi de roi et de garçon, que je saurai m’en acquitter. Que répondez-vous à cela, la plus belle Catherine du monde, ma très-chère et divine déesse ?

Catherine. — Your majesté have fausse french enough to deceive de most sage demoiselle dat is en France[2].

Le roi. — Oh ! fi de mon mauvais français ! Sur mon honneur, en bon anglais je t’aime, chère Catherine. Je n’oserais pas faire le même serment, que tu m’aimes et en jurer aussi par mon honneur : cependant le frémissement de mon cœur commence à me flatter qu’il en est quelque chose, malgré le peu de pouvoir de ma figure. Je maudis en ce moment l’ambition de mon père ; c’était un homme qui avait la tête pleine de guerres civiles, quand il m’a engendré : voilà pourquoi j’ai apporté en naissant cet air déterminé, cet aspect d’acier qui fait que, quand je veux courtiser les dames, je leur fais peur ; mais au fond, Catherine, plus je vieillirai, et plus

  1. Les Turcs ne se sont emparés de Constantinople qu’en l’année 1453, et il y avait déjà trente-un ans que Henri était mort.
  2. Dialogue moitié français, moitié anglais.