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Vous me voyez ici, ô dieux ! un pauvre vieillard, aussi comblé de douleurs que d’années, misérable par tous les deux ! Si c’est vous qui excitez le cœur de ces filles contre leur père, ne m’abaissez pas au point de le supporter patiemment ; animez-moi d’une noble colère. Oh ! ne souffrez pas que des pleurs, armes des femmes, souillent mon visage d’homme ! — Non, sorcières dénaturées, je tirerai de vous une telle vengeance, que le monde entier saura… – Je ferai de telles choses…. Ce que ce sera, je ne le sais pas encore ; mais ce sera l’épouvante de la terre – Vous croyez que je pleurerai ; non, je ne pleurerai pas. J’ai bien amplement de quoi pleurer ; mais ce cœur éclatera par cent mille ouvertures avant que je pleure – O fou, je perdrai la raison !

Sortent Lear, Glocester, Kent et le fou.

Cornouailles. – Retirons-nous ; il va faire de l’orage.

On entend dans le lointain le bruit du tonnerre.

Régane. – Cette maison est petite ; le vieillard et sa suite ne peuvent s’y loger commodément.

Gonerille. – C’est sa propre faute ; il a quitté de lui-même le lieu où il pouvait être tranquille : il faut qu’il porte la peine de sa folie.

Régane. – Pour lui personnellement, je le recevrai avec plaisir ; mais pas un seul de ses serviteurs.

Gonerille. – C’est aussi mon intention – Mais où est lord Glocester ?

Cornouailles. – Il a suivi le vieillard – Mais le voilà qui revient.

Glocester rentre.

Glocester. – Le roi est dans une violente fureur.

Cornouailles. – Où va-t-il ?

Glocester. – Il ordonne qu’on monte à cheval, mais il veut aller je ne sais où.

Cornouailles. – Le mieux est de lui céder ; il se conduira lui-même.

Gonerille. – Milord, ne le pressez nullement de rester.

Glocester. – Hélas ! la nuit approche ; un vent glacé agite violemment les airs, à plusieurs milles aux environs à peine se trouve-t-il un buisson.