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Quoi ! on obtiendrait aussi bien de moi de me prosterner devant le trône de ce bouillant roi de France, qui a pris sans dot notre plus jeune fille, et de solliciter comme un écuyer une pension pour soutenir ma pauvre vie ! Retourner chez elle ! Que ne me persuades-tu plutôt d’être l’esclave, la bête de somme Montrant Oswald de ce valet détesté.

Gonerille. – A votre choix, seigneur….

Lear. – Je t’en prie, ma fille, ne me fais pas devenir fou. Je ne veux pas te déranger, mon enfant. Adieu, nous ne nous rencontrerons plus, nous ne nous reverrons plus. Mais cependant tu es ma chair, mon sang, ma fille ; ou plutôt tu es une maladie engendrée dans ma chair, et que je suis obligé d’appeler mienne ; tu es un abcès, un ulcère douloureux, une tumeur enflammée, produit de mon sang corrompu – Mais je ne veux pas te faire de reproches : que la honte tombe sur toi quand il lui plaira ; je ne l’appelle pas. Je n’invoque pas les coups de Celui qui porte le tonnerre ; je ne fais point de rapports contre toi à Jupiter, notre juge suprême. Corrige-toi quand tu le pourras, deviens meilleure à ton loisir ; je puis prendre patience : je puis rester chez Régane, moi et mes cent chevaliers.

Régane. – Non, il n’en peut être tout à fait ainsi, seigneur. Je ne vous attendais pas encore, et je n’ai rien préparé pour vous recevoir comme il convient. Prêtez l’oreille aux propositions de ma soeur. Ceux dont la raison est capable de modérer votre passion doivent prendre leur parti de songer que vous êtes vieux, et qu’ainsi… Mais elle sait bien ce qu’elle fait.

Lear. – Est-ce là bien parler ?

Régane. – J’ose le soutenir, seigneur. Quoi ! cinquante chevaliers, n’est-ce pas assez ? Qu’avez-vous besoin d’un plus grand nombre, ou même d’en avoir autant, s’il est vrai que l’embarras, le danger, tout parle contre une suite si nombreuse ? Comment, dans une seule et même maison, tant de personnes soumises à deux maîtres peuvent-elles vivre en bonne intelligence ? Cela est bien difficile, cela est impossible.