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Scène III

OBERON invisible ; DÉMÉTRIUS, et HÉLÈNE qui le suit. TITANIA arrive avec sa cour.


DÉMÉTRIUS. — Je ne vous aime point ; ainsi, cessez de me poursuivre. Où est Lysandre, et la belle Hermia ? Je tuerai l’un ; l’autre me tue. Vous m’avez dit qu’ils s’étaient sauvés dans le bois ; m’y voilà, dans le bois, et je suis furieux de n’y pouvoir trouver Hermia. Laissez-moi ; éloignez-vous, et ne me suivez plus.

HÉLÈNE. — Vous m’attirez à vous, cœur dur comme le diamant, mais ce n’est point un cœur de fer que vous attirez, car le mien est fidèle comme l’acier : perdez la force d’attirer, je n’aurai plus celle de vous suivre.

DÉMÉTRIUS. — Est-ce que je vous sollicite ? est-ce que je vous abuse par de douces paroles, ou plutôt ne vous ai-je pas dit la vérité nue, je ne vous aime point, je ne puis vous aimer ?

HÉLÈNE. — Et je ne vous en aime que davantage. Je suis votre épagneul : plus vous me maltraiterez, Démétrius, et plus je vous caresserai. Traitez-moi seulement comme votre épagneul : rebutez-moi, frappez-moi, négligez-moi, égarez-moi ; mais du moins, accordez-moi, quelque indigne que je sois, la permission de vous suivre. Quelle place plus humble dans votre amour puis-je implorer ? Et ce serait encore pour moi une faveur d’un prix inestimable, que le privilége d’être traitée comme vous traitez votre chien.

DÉMÉTRIUS. — Ne provoquez pas trop la haine de mon âme ; je suis malade quand je vous vois.

HÉLÈNE. — Et moi, je le suis quand je ne vous vois pas.

DÉMÉTRIUS. — Vous compromettez trop votre pudeur, en quittant ainsi la ville, vous livrant seule à la merci d’un homme qui ne vous aime point, exposé aux dangers de la nuit et aux mauvais conseils d’un lieu désert, avec le riche trésor de votre virginité.

HÉLÈNE. — Votre vertu est ma sauvegarde ; il n’est plus nuit quand je vois votre visage ; je ne crois donc plus être alors dans les ténèbres : ce bois n’est point une solitude pour moi ; avec vous, j’y trouve tout l’univers : comment donc pouvez-vous dire que je suis seule, quand le monde entier est ici pour me regarder ?

DÉMÉTRIUS. — Je vais m’enfuir loin de vous, et me cacher dans les fougères, vous laissant à la merci des bêtes féroces.

HÉLÈNE. — La plus féroce n’a pas un cœur aussi cruel que le vôtre. Fuyez où vous voudrez ; l’histoire changera seulement : c’est Apollon qui fuit, et c’est Daphné qui poursuit Apollon ! la colombe poursuit le milan ; la douce biche hâte sa course pour atteindre le tigre : hâte inutile quand c’est la timidité qui poursuit et le courage qui s’enfuit.

DÉMÉTRIUS. — Je ne m’arrêterai plus à écouter vos discours. Laissez-moi m’en aller ; ou, si vous me suivez, craignez de moi quelque outrage dans l’épaisseur du bois.

HÉLÈNE. — Hélas ! dans le temple, dans la ville, dans les champs, partout vous m’outragez. Fi ! Démétrius, vos affronts jettent un opprobre sur mon sexe ; nous ne pouvons, comme les hommes, combattre pour l’amour. Nous devrions être courtisées, et nous n’avons pas été faites pour faire la cour. Je veux vous suivre, et