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LA TRAGÉDIE DE LOCRINE.

son quatrième livre des Consultations. Oui, mes maîtres, oui, vous pouvez rire ; mais moi, il faut que je pleure. Vous pouvez vous réjouir, mais moi, il faut que je me lamente. Les larmes amères doivent couler de l’humide fontaine de mes jolis yeux, le long de mes belles et douces joues, aussi abondamment que l’eau coule des baquets à lessive ou le vin rouge des muids. Car croyez-moi, messieurs, mes bons amis, et caetera, le petit dieu, ce coquin de dieu Cupido, m’a frappé au talon avec une de ses perfides flèches à moineau. En sorte que non-seulement, mais encore… Oh ! la belle phrase !… je brûle, je brûle, ha ! ha ! je brûle d’amour, d’amour, ha ! d’amour ! Ah ! Strumbo, qu’as-tu vu ? Tu as vu, de tes yeux vu Dorothée ; arrache-les donc, car ils vont faire ton malheur. Ah ! Strumbo ! qu’as-tu entendu ? sa voix, sa voix plus douce que la voix du rossignol ; oui, tu l’as entendue de tes deux oreilles ; coupe-les donc, car elles ont causé ton chagrin. Va, Strumbo, tue-toi, noie-toi, pends-toi, affame-toi… Oh ! mais alors je devrai donc quitter celle que j’aime… Mon pauvre cœur !… Maintenant, ma caboche, à l’œuvre ! Je vais lui écrire une éloquente lettre d’amour, et elle, en entendant la verbosité grande de mon écriture, elle s’éprendra immédiatement de moi.

Il écrit quelques mots, puis lit.

Ma plume est mauvaise, messieurs, prêtez-moi un canif. Je crois qu’en se hâtant trop on ne fait rien qui vaille.

Il écrit de nouveau, puis lit.

… « Oui, mistress Dorothée, unique essence de mon âme, la petite étincelle d’amour que votre suave beauté a allumée en moi est devenue maintenant une grande flamme qui, avant peu, aura consumé mon pauvre cœur, si vous n’en éteignez la furieuse ardeur avec l’eau exquise de votre secrète fontaine. Hélas ! je suis un gentleman de bonne répu-