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LES APOCRYPHES.

cessant effort de l’imprimerie, elles avaient traversé victorieusement les règnes d’Élisabeth, de Jacques Ier et de Charles Ier ; elles avaient survécu aux régimes les plus divers, à la domination de Cromwell, à la restauration des Stuarts, à l’avènement de la maison de Hanovre, et elles s’avançaient fièrement vers l’avenir, comme sûres de l’immortalité. Tout à coup un critique nouveau-venu les a regardées d’un œil sévère ; il les a examinées, scrutées, fouillées, il a recherché leur acte de naissance, et, ne le trouvant pas en règle, il s’est écrié : « Chassez-moi ces misérables du théâtre de Shakespeare ! »

Le cri jeté par Pope dans sa célèbre préface a retenti dans toute l’Angleterre. Habent sua fata labelli. Les pièces si brusquement dénoncées comme bâtardes par cette imprécation sonore ont été depuis lors impitoyablement bannies de l’œuvre du maître. Tout au plus, en 1735, un timide éditeur, J. Tonson, a-t-il osé leur accorder asile dans une édition éphémère. Proscrites par Johnson, proscrites par Malone, proscrites par Steevens, proscrites par Chalmers, proscrites par Collier, proscrites par Charles Knight, elles ont disparu du grand jour de la publicité. L’oubli, ce sépulcre des créations de l’esprit, les a lentement couvertes de son ombre. Et aujourd’hui les érudits seuls savent qu’il a existé jadis des œuvres signées de Shakespeare qui s’appelaient Locrine, Lord Cromwell, le Prodigue de Londres, la Puritaine.

Aujourd’hui donc ces œuvres sont mortes, et bien mortes. Après un ensevelissement plus que séculaire, est-il possible de les ressusciter ? Je l’ignore. En tout cas, je vais tenter de les exhumer.

I

Le sujet de Locrine est emprunté à l’histoire fabuleuse de la Grande-Bretagne. D’après le récit breton qui fut dé-