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LES APOCRYPHES.

esprits, se sentant dépaysée sur la terre britannique, menace de la quitter. Les inspirations s’en vont. L’art s’amoindrit et languit dans ses expressions multiples. La musique, réservant ses mélodies pour d’autres cieux, n’est plus au delà de la Manche qu’une plainte monotone. La peinture refuse obstinément des successeurs aux Lawrence et aux Gainsborough. La poésie, manquant du souffle suprême, ne trouve plus rien qui vaille une simple chanson de Burns. Le roman, privé d’idéal, s’arrête à ses études de mœurs ingénieusement superficielles. Quant au théâtre, quant à cet admirable théâtre qui jadis étonnait l’univers par tant de créations originales, il n’est plus que le travestissement chétif et la parodie navrante de notre théâtre français.

Tels sont déjà, au delà de la Manche, les alarmants effets de l’enseignement ultra-protestant. Ah ! il est temps, grand temps, que l’Angleterre avise, et qu’elle réagisse contre cette éducation délétère. La patrie de Newton et de Bacon n’a pas échappé au fanatisme catholique pour se : sacrifier ainsi au fanatisme huguenot. Elle n’a pas combattu si obstinément le jésuitisme pour s’assujettir au puritanisme, Elle ne s’est pas révoltée contre Loyola pour se donner à Knox et à Cartwright. Elle n’a pas soutenu contre le vieux monde catholique une lutte héroïque de trois siècles pour se courber sous un despotisme plus sombre que le despotisme même de Rome. Elle n’a pas conquis la liberté de sa conscience pour l’aliéner ainsi, après la victoire.

Non, l’Angleterre ne voudra pas couronner son triomphe par sa chute. Sous peine de déchéance, elle doit se soustraire, par une réforme radicale, à cette autorité sinistre qui lui impose la haine des idées modernes ; elle doit rompre avec cet ennemi intime que lui dénonçait jadis l’auteur d’Hamlet ; elle doit répudier les doctrines de lèse-raison qui l’égarent, pour remettre en honneur ses nobles tradi-