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LES APOCRYPHES.

le ruisseau ces tréteaux prestigieux qui avaient porté tour à tour le fauteuil de Falstaff, la table du banquet de Macbeth, le lit de camp de Brutus, la chaise curule de Coriolan, l’escabeau de Timon d’Athènes, le cercueil d’Ophélia, le lit de mort de Desdemone, le trône du roi Lear, le dais de Henry V, la galère de Cléopâtre, le berceau de Titania. Telle fut la rage aveugle des puritains. Ils mirent le génie hors la loi. Ils condamnèrent la gloire à l’infamie. Ils chassèrent la muse à coups de fouet. Songez-vous à cela ? Si Cromwell vainqueur avait appréhendé Shakespeare, il l’aurait mis au pilori !

J’ai résumé à grands traits les phases diverses de la longue guerre faite au théâtre anglais par le puritanisme. Le récit d’une lutte généralement peu connue m’a paru nécessaire pour expliquer et justifier les vives attaques dont le parti puritain est souvent l’objet dans les ouvrages dramatiques représentés pendant les règnes d’Élisabeth et de Jacques Ier. Certes, Shakespeare ne pouvait pas deviner les triomphes inouïs réservés, trente ans après sa mort, à cette secte intolérante ; pourtant il sentait en elle une ennemie irréconciliable, et il avait pour elle une aversion profonde que modérait sans doute la haute générosité de sa nature, mais qui transparaît néanmoins à travers ses œuvres. Ça et là, dans ses comédies, notamment dans Tout est bien qui finit bien, et dans le Soir des Rois, le poëte ne peut s’empêcher de lancer de vertes épigrammes à l’adresse de ses pieux détracteurs. À leurs huées fanatiques il riposte par de fines moqueries. « La vertu, fait-il dire à l’un de ses clowns, n’a pas besoin d’être puritaine pour ne pas faire le mal. » Ailleurs il se moque légèrement des Brownistes, qui ont été en Angleterre les prédécesseurs des Indépendants. Enfin, il personnifie la secte tout entière dans cette antipathique tête ronde, dans « ce diable de puritain » qui a nom Malvolio. Re-