Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1867, tome 3.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
LA TRAGÉDIE DE LOCRINE.

Locrine arrive et que l’heure de ma mort est venue. — Ainsi, tourmenté par la frayeur et par la faim, Humber — n’a jamais l’esprit en repos, et ne cesse de trembler. — Oh ! quel Danube pourrait maintenant étancher ma soif ? — Quel Euphrate, quel rapide Euripe — pourrait maintenant apaiser la furie de ce feu — qui me dévore avec rage les entrailles ? — Vous, sinistres démons du Styx aux neuf replis, — vous, spectres damnés de l’Achéron sans joie, — vous, âmes en deuil tourmentées dans les profondeurs de l’abîme, — vous, diables noirs des marais de l’Averne, — accourez avec vos crocs, et déchirez mes bras exténués, — ces bras qui ont si longtemps soutenu mon existence. — Accourez, et avec vos rasoirs déchirez mes entrailles, — et broyez avec vos fourches aiguës mes os affamés. — Traitez-moi comme vous voudrez, pourvu qu’Humber cesse de vivre ! — Dieux maudits qui gouvernez les pôles étoilés, — maudit Jupiter, roi des dieux maudits, — lancez vos foudres sur la tête du pauvre Humber, — que je sois délivré d’une existence pareille à la mort ! — Eh quoi ! n’entendez-vous pas ? Humber ne mourra donc pas ? — Si fait, je veux mourir, quand tous les dieux diraient : non ! — Aby (1), douce rivière, recueille mon corps endolori, — recueille-le et cache-le à tous les regards mortels, — que nul ne puisse dire, quand j’aurai rendu le dernier soupir, — que les flots même s’étaient conjurés contre la mort d’Humber !

Il se précipite dans la rivière.
Entre le spectre d’Albanact.
le spectre.

En cœdem sequitur cœdes, in cœde quiesco.

— Humber est mort ! Réjouissez-vous, cieux ; bondis, terre ; dansez, arbres ! — Maintenant, Tantale, tu peux atteindre la pomme, — et en nourrir ton corps affamé ! —