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LES APOCRYPHES.

bande noire d’Éthiopiens, donnant la chasse à Persée. Voyez-vous plus loin ce crocodile d’Égypte que mord ce petit serpent ? Il figure le roi des Huns victorieusement poursuivi par Locrine. Apercevez-vous là-bas Hercule déposant sa massue et filant aux pieds d’omphale ? C’est le martial Locrine qui se désarme pour faire sa cour à la captive Estrilde dont il est lui-même le captif. Enfin distinguez-vous cette Médée qui tue le perfide Jason en enveloppant de flammes la fille de Créon ? C’est Guendolen furieuse qui frappe du même coup sa rivale et son infidèle époux. Autant d’intermèdes, autant de symboles. Le spectacle est curieux, convenez-en ; je crois même qu’il est unique au théâtre anglais. Dans toutes les pièces du répertoire britannique que nous connaissons, la pantomime, lorsqu’elle intervient, se dégage du sujet même dont elle met en relief certaines portions. Ici, elle suscite des épisodes qui sont absolument étrangers à l’action et ne la reflètent que par une vague analogie. Ici, les jeux muets ne sont pas rattachés au drame par le fil de l’intrigue, mais par le lien subtil d’une capricieuse comparaison. L’image, rêvée arbitrairement par l’auteur, devient visible pour le spectateur. La métaphore prend forme et fait tableau.

L’intrigue tragique de Locrine est doublée artificiellement d’une intrigue bouffonne qui procède de la farce plus que de la comédie. Cette seconde fable, lestement jointe à la première, en est absolument distincte et par la forme et par le fond. Écrite dans le style courant de l’improvisation prosaïque, elle interrompt par des parades plus que familières le cours régulier et uniforme de la tragédie pseudo-classique ; à travers les longues tirades pédantesquement débitées par les héros et les héroïnes, elle lance les lazzi de ses clowns avec un sans-gêne qui ressemble presque à une impertinence. Comme si ce n’était pas assez de couper ainsi la parole à la tragédie, elle ne cesse de la contrefaire