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LA TRAGÉDIE DE LOCRINE.

accident ne peut le renverser — ou que son empire durera éternellement, — regarde la pauvre Estrilde, ce parfait modèle d’infortune. — Naguère j’étais gardée par une escorte martiale, — composée de princes du plus noble sang ; — maintenant je suis tombée au pouvoir de mes ennemis, — et il faut que par ma mort j’apaise leur ressentiment. — Ô vie, hâvre des calamités — Ô mort, refuge de toutes les misères ! — Je pourrais comparer mon affliction à ta souffrance, — ô malheureuse reine de la malheureuse Pergame ! — Mais toi, du moins, tu as assisté à la ruine de tes ennemis ; — du haut du rocher de Cépharée, — tu as vu leur mort, et alors tu as quitté ce monde ! — Moi, il faut que je subisse l’insolence du vainqueur. — Les dieux, prenant en pitié ta continuelle douleur, — ont transfiguré ton corps, et, avec ton corps, ta détresse. — La pauvre Estrilde survit sans espoir de secours, — car, dans l’adversité, les amis sont rares et peu nombreux. — Peu nombreux, ai-je dit ? Il n’en reste plus un seul, — car la cruelle mort les a tous exterminés. — Trois fois heureux ceux qui ont eu la bonne fortune — d’en finir à la fois avec l’existence et avec la souffrance ! — Trois fois malheureuse suis-je, moi que la fortune contraire — a cruellement livrée à mes ennemis ! — Ô soldats ! y a-t-il une misère — comparable à cette perfidie de la fortune ?

locrine.

— Camber, ce doit être la reine des Scythes.

camber.

— Oui, si nous en jugeons par ses lamentables accents.

LOCRINE, à part.

— Si elle a raison de pleurer la mort d’Humber, — et de verser des larmes amères sur sa chute, — Locrine n’est que trop fondé à déplorer son propre malheur — et à s’affliger de sa douleur intime. — Humber, vaincu, mourut d’une mort prompte, — et ne souffrit pas longtemps de sa lamentable blessure. — Moi, vainqueur, je dois vivre d’une