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LES APOCRYPHES.

sous de nouveaux noms, il est vrai, mais au complet. Apollonius y figurait sous le nom de Périclès ; sa femme Archestrate, sous le nom de Thaïsa ; sa fille Tharsa, sous le nom de Marina. Oh ! l’intéressant spectacle ! Il fallait voir Burbage jouer ce rôle de Périclès, une de ses plus étonnantes créations. Comme il était beau, dans cette scène finale où le père retrouve sa fille sous le déguisement de l’esclave chargée de lui jouer de la musique ! Comme il était pathétique et tendre ! Et comme le grand comédien savait ici seconder le grand poëte !

Ces péripéties prodigieuses, ces brusques transitions de la plus sombre adversité à la prospérité la plus splendide, ces alternatives inouïes de misère et de grandeur, d’abjection et de triomphe, de désespoir et de béatitude, ces changements à vue d’enfers en paradis, étaient autant de coups de théâtre qui passionnaient la foule. Le succès fut énorme, unanime. Maints documents contemporains l’attestent. Un poëme anonyme, publié en 1609, sous le titre de Pimlico, parle « des cohues de gentilshommes et de marauds, qui se pressaient pour voir Périclès. » L’auteur d’une comédie jouée en 1614 (Le Pourceau a perdu sa perle), la fait précéder d’un prologue où il souhaite que sa pièce soit aussi fortunée que Périclès. Profitant de la vogue, un libraire, Nathaniel Butter, publie dès 1608 une nouvelle, calquée prosaïquement par un certain George Wilkins, sur la pièce même de Shakespeare, sous ce titre équivoque : « Les pénibles aventures de Périclès, prince de Tyr, étant la véritable histoire de la pièce de Périclès, telle qu’elle a été récemment représentée par le digne et vieux poëte Gower. » Ainsi, — détail remarquable, — le drame de Shakespeare, inspiré par une antique légende, produit à son tour une légende nouvelle. La fiction interprétée par le poëte détrône déjà dans l’imagination populaire le récit traditionnel. — En cette même année 1608, le libraire Édouard Blount, un