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LES APOCRYPHES.

j’ai déjà parlé, avoue qu’Arden de Feversham ne serait pas indigne de la jeunesse de Shakespeare[1]. M. Collier, plus explicite, attribue ce drame, tout au moins partiellement, à Shakespeare. M. Charles Knight, après avoir analysé l’œuvre et s’être extasié sur tant de surprenantes qualités, est réduit, pour ainsi dire malgré lui, à nommer Shakespeare comme le seul écrivain à qui elle puisse être assignée. En Allemagne, les adhésions à la thèse de Jacob sont plus éclatantes encore. Schlegel la confirme de son éminent suffrage dans son Cours de littérature dramatique, et Tieck la consacré définitivement en traduisant Arden de Feversham comme une incontestable création de Shakespeare.

À défaut de preuves irrécusables, la conjecture de Jacob a effectivement pour elle de fortes présomptions. Le sujet d’Arden de Feversham est emprunté à cette chronique d’Holinshed qui a fourni à Shakespeare la matière de tant de drames, et je ne doute pas que l’attention du poëte n’ait été de bonne heure attirée par un récit où il retrouvait à chaque ligne un nom qui lui était cher. — Ce nom d’Arden, que portait le malheureux homme assassiné en 1551, Shakespeare ne pouvait le prononcer sans une émotion filiale, car c’était le nom même de sa mère. Mistress John Shakespeare, petite-fille d’un valet de Henry VII, était née Arden de Wilmecote. Peut-être y avait-il un lien de parenté entre les Arden de Wilmecote et les Arden de Feversham. Peut-être l’auteur d’Hamlet était-il, du côté maternel, un peu cousin de la pauvre victime. Peut-être avait-il dans les veines un peu de ce sang qui avait été si tragiquement versé. Quel intérêt alors devait avoir pour lui la narration d’Holinshed ! Je me figure que cette narration, publiée dès 1577, a dû être souvent lue et relue dans les veillées de

  1. « Arden of Fwersham would have done no discrédit to the early manhood of Shakespeare. » — Edinburgh Review, vol. LXXI, p. 471.