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INTRODUCTION.

gleterre[1]. L’auteur d’Arden de Feversham a reproduit l’émouvant récit du chroniqueur, mais en le modifiant avec une rare sagacité sur un point essentiel. Maître Arden n’est plus, dans le drame, ce complaisant méprisable que la chronique nous montre tolérant et favorisant par un calcul sordide la passion adultère de sa femme. C’est, au contraire, un mari fort amoureux et fort jaloux qui a au plus haut degré le sentiment de sa dignité et de son honneur, qui souffre du moindre soupçon, et qui ne se laisse tromper que par la plus savante dissimulation. Grâce à cette modification habile, le personnage de maître Arden devient complètement sympathique. On l’estime autant qu’on le plaint, et cette estime accroît encore l’anxiété avec laquelle on suit les phases diverses du complot tramé contre lui.

Sur d’autres points encore, le drame corrige, pour l’améliorer, la narration historique. — Le guet-apens du cimetière de Saint-Paul, à peine indiqué par Holinshed, devient l’un des plus curieux épisodes de la pièce. Au lieu d’être préservé par ce hasard insignifiant, — la présence de quelques amis, — maître Arden échappe à ses assassins, grâce à une comique altercation entre les bandits et un boutiquier prudent qui ferme son échoppe et qui fait tomber le châssis d’une fenêtre sur la tête de Blackwill traîtreusement adossé à la muraille. Je recommande au lecteur ce tableau du vieux Londres nocturne qui est certainement des plus pittoresques.

Non moins remarquable est la scène à laquelle donne lieu le scrupule du valet Michel refermant, après réflexion, la porte qu’il devait ouvrir aux assassins : « Ce Michel, dit Holinshed, ayant mis son maître au lit, ouvrit la porte conformément à la convention faite. Son maître, étant couché,

  1. De la page 1060 à la page 1066. Édition de 1586. Voir à l’Appendice la traduction complète de ce récit.