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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

fille chaste et innocente, qui au milieu des tempêtes de la saleté, ai, Dieu merci, ma virginité sans nulle souillure. Ce qu’ayant dit ; et étant bien apprise et instruite aux bonnes lettres, et jouant parfaitement de la lyre, elle chanta les vers qui suivent :

Dans un bourbier, plein d’ordure, plongée,
Si mon destin n’a lourdement rangée,
Pourtant mon corps est pudique et entier,
Me rose n’est fanée en son rosier,
Ni ma vertu, fermeté et confiance,
Ne surent onc que vaut la décevance
D’un faux attrait, étant telle et d’un rang
Si haut issue, et si noble de sang,
Que grand roi fut et est encor mon père,
Fille de roi et femme fut ma mère.

Apollonie, oyant ceci, regarda la fille et, la voyant si belle, ne put contenir ses larmes, et, lui rendant grâce de sa visitation, la pria de se retirer, d’autant qu’il n’y avait chant, ni son qui pussent lui rendre sa joie perdue. Sa fille néanmoins qui avait eu commandement de ne sortir sans le mettre bien avant en propos, et savoir qui il était, continuant à chanter et sonner, dit encore ces paroles :

Sainte clarté qui honores les cieux,
Fais que je voie un jour de ces deux yeux
Celui qui fut chassé de sa province
Pour trop aimer la fille de son prince.

— Qu’est-ce à dire ? disait Apollonie en son cœur, cette fille sait-elle, ou si elle devine qui je suis et les malheurs qui ont été cause de mon heur et depuis de ma ruine ?

Et cependant Tharsie passa outre, disant sur la lyre :

Neptune, cruel, écumeux et courant
Qui tout ravis, et tout vas dévorant,
Rends-moi ce bien, l’honneur de tout le monde
Que tu reçus sur les îlots de ton onde