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APPENDICE.

Apollonie ayant perdu sa femme, et derechef fait le jouet de fortune, tout pensif et affligé, ne se souciait plus de sa vie et ne se délibérait de jamais s’arrêter (ayant mis sa fille en lieu sûr pour la faire nourrir) en lieu quelconque, jusqu’à tant qu’il trouverait le sépulcre de sa bien-aimée Archestrate. Étant en ce pansement, voici que par la volonté de Dieu, les vents étant accoisés et apaisant leurs furies, la galère vint prendre port en la cité de Tharse, où il fut loger en la maison de son ancien hôte et ami Stragulion, duquel, et de tous les Tharsiens, il fut reçu, bien venu, et honoré comme s’il eût été leur seigneur et naturel prince. Ayant peu séjourné en cette cité, il déclara tout le succès de sa vie à son hôte, et le malheur qui l’avait à cette fois accablé, lui faisant perdre son épouse, la plus accomplie princesse qui fût sur la terre ; lui dit que sa résolution était de ne jamais revoir son pays, qu’il ne sût le lieu où aurait abordé le corps de sa femme, pour lui rendre le dernier devoir de son amitié.

— À cette cause, dit-il en pleurant à chaudes larmes, voici un gage précieux, montrant sa fille, que j’ai de celle que j’aimais autant ou plus que moi-même, que je prétends vous laisser en garde, afin que vous la nourrissiez, éleviez et instruisiez comme il appartient que soit instruite l’héritière de deux tels pays que sont et Tyr et Cyrène. Je vous recommande cet enfant aussi cher que votre vie, comme aussi je prierai les seigneurs et magistrats de cette ville d’avoir le soin de ce qui est mien.

Ceux-ci jurent, promettent, et protestent de faire ce qu’il commande. Ce que fait, il laissa et Lycoris pour gouvernante, et la nourrice pour avoir soin de sa fille, qu’il nomma Tharsie, à cause de la nourriture qu’elle prenait en la ville de Tharse, et de l’amitié qu’il portait aux citoyens d’icelle. Or si Apollonie avait été sujet aux assauts de la fortune en son adolescence, sa fille ne fut pas moins étant par-