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INTRODUCTION.

ayant pour feuilles les banderolles flottantes ; les écussons aux antiques devises, écartelés de couleurs diverses qui rappellent autant de fruits, complètent ce jardin des Hespérides, Derrière nous également la colline élève ses pentes, car, ouverte d’un seul côté, elle nous entoure comme une demi-lune ; et là, sur notre dos, sont postées les arbalètes fatales, auxquelles commande le brutal Châtillon. Voici donc la situation : la vallée, par où notre fuite serait possible, est fermée par le roi ; les hauteurs de droite et de gauche sont superbement couronnées par ses fils ; et sur la côte, derrière nous, est embusquée l’inévitable mort à la suite de Châtillon. »

Vous venez d’entendre raisonner l’inquiétude anglaise. Maintenant, voulez-vous avoir une idée de l’extraordinaire anxiété qui s’est emparée de l’armée française au moment du combat ? Écoutez ces paroles que le poëte prête au roi Jean :

« Une obscurité soudaine a terni le ciel ; les vents se sont blottis d’effroi dans leur antre ; les feuilles ne bougent pas ; les oiseaux ont cessé de chanter, et les ruisseaux vagabonds ne murmurent plus à leurs rives le salut familier. Le silence guette quelque prodige, et attend que le ciel proclame quelque prophétie. Nos hommes, la bouche béante, l’œil fixe, se considèrent comme s’ils attendaient un mot les uns des autres, et pourtant pas un ne parle. Une frayeur muette a fait partout la nuit, et les paroles dorment dans toutes les régions en éveil. »

N’est-ce pas Shakespeare qui a imaginé et décrit cette stupeur de la nature à l’approche du grand événement qui va s’accomplir ? Et ne reconnaissez-vous pas la forme unique du maître à cette belle métaphore : « Le silence guette quelque prodige, silence attends some wonder ; » et à cette étonnante antithèse : « les paroles dorment dans toutes les régions en éveil, speeches sleep through all the waking regions ? »