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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

quelque respiration, mais faible, languissante, et fort atténuée, comme si la vie eût combattu contre la mort, et que le cœur et les parties nobles tâchassent de s’évertuer, et continuer à faire leur office. Et pour ce fit-il faire bon feu en la chambre, et y mettre des choses aromatiques, afin que la chaleur et l’odeur éveillât les sens assoupis et étonnés de la dame, et réchauffât le sang refroidi, qui lui avait causé cette si violente syncope. Ce que fait, la Princesse commença petit à petit à se mouvoir et respirer aucunement, qui fut cause que ce jeune homme dit à son docteur qu’il avait manqué commettre un grand forfait, faisant mourir celle qui ne l’était point, et ruinant une telle beauté, en lui pensant faire quelque pitoyable devoir et service ; en somme, le disciple usa de telle diligence, qu’il remit sus la dame, et eut pour son salaire l’argent qui était au cercueil pour les funérailles de celle qu’on tenait pour morte.

Elle, se voyant en pays étranger, absente de son loyal époux et de sa chère gouvernante, fut effrayée et confuse, ne sachant comment elle était venue là, qui l’y avait conduite, quelles gens c’étaient, et quel traitement elle recevrait en une maison inconnue. Et voyant Cheremon, qui était un vieillard fort honorable, se jeta à ses pieds, le suppliant d’avoir pitié d’elle, et ne souffrir qu’on lui fît aucun tort, elle étant l’épouse d’un tel et si grand seigneur qui aurait le moyen de lui reconnaître cette sienne grâce et courtoisie. Ce qu’il lui accorde et mieux, en tant que considérant la majesté que cette dame représentait en sa face, il l’estima telle qu’elle était, à savoir dame de grande maison, illustre de sang, et fort chaste, honnête et vertueuse, et par même moyen pour mieux la garantir, l’adopta pour sa fille, et la mit au temple de Diane, parmi les prêtresses pudiques et chastes, qui servaient là dedans la déesse et recevaient les offrandes de chacun ; où depuis son mari la trouva, ainsi que nous dirons bientôt après.