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APPENDICE.

prit, de sorte que les deux dames, la voyant telle, la jugèrent au vrai pour morte.

Le cri des femmes voyant ce corps qu’elles pensaient mort, étant ouï par Apollonie, qui était avec les mariniers pour les secourir et encourager durant la tourmente, lui fit soudain penser que c’était la mort de sa bien-aimée Archestrate décédée en travail, d’autant qu’il l’avait laissée sentant des angoisses, mais non telle que la sage-femme estimât qu’elle dût sitôt se délivrer ; lui, voyant ce corps pâle, sans apparence ni de sang, ni de vie, commença à faire la guerre à ses joues, à ses cheveux, à belles ongles, se disant malheureux, et détestant la fortune, et maudissant l’heure de sa naissance. Et voulant continuer son propos, la douleur lui interrompit, et sentit un saisissement si étrange, que les femmes eurent peur qu’il n’advînt de lui tout ainsi que de sa femme. Toutefois, revenu de pamoison et l’ayant ses gens aucunement consolé, et lui se plaisant à voir sa fille naguère née pour le soulagement (comme il cuidait) de ses douleurs, voici que le maître pilote et gouverneur du navire, s’adressant à lui, dit : — C’est bien fait à vous, monsieur, que de pleurer pour l’amour d’une chose si chère que votre épouse ; mais si faut-il mettre fin à vos larmes et apprendre la coutume établie sur les galères, qui est que la mer ne peut endurer corps mort quelconque : ains convient que la terre aie ce qui est sien, et qui de droit lui doit hommage. À cette cause est-il nécessaire que ce corps soit jeté en la mer, ou que nous périssions par la violence de cet orage et furieuse tempête.

Un estoc bien pointu et acéré n’eût pas tant outré le cœur d’Apollonie, que fit cette parole du pilote, auquel il ne dit ni répliqua rien, sachant ce genre d’hommes être inexorable, et que leurs lois étaient observées pour oracles : ains, baissant la tête et s’accommodant au temps et au lieu, il leur accorde qu’ils avaient raison, et qu’il