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APPENDICE.

Ainsi le prince de Tyr arma quelques vaisseaux, y mit plusieurs milliers de muids de blé, de l’or et de l’argent, et des joyaux en grande abondance, et partit un soir bien tard, non sans le grand étonnement et douleur de ses sujets, qui l’aimaient surtout à cause de ses louables et rares vertus, et ne savaient rien de l’occasion de ce départ si soudain, qu’ils eussent empêché aux dépens de leur vie, et en peine de se révolter contre le monarque de Syrie. Le capitaine duquel, étant arrivé à Tyr, fut étonné voyant le deuil que chacun démenait pour le départ de leur seigneur, et duquel aucun n’avait rien d’assuré, ains le tenaient tous pour perdu, et étaient sans nulle espérance de jamais le revoir. À cette cause, s’en retournant vers le roi son maître, lui fit entendre le succès de ceci, qui fut très-agréable à Antiochus, comme un vrai moyen de couvrir son forfait, quand bien Apollonie le déclarerait, en tant qu’il ne serait pas cru, puisqu’ayant éclairci le doute, il s’était absenté ainsi de son pays, et avait quitté sa seigneurie. Pour ce, le roi confisqua et corps et bien d’Apollonie, proposant le prix de cinquante talents d’or à quiconque lui amènerait Apollonie vif, et cent à celui qui lui apporterait la tête.

Ce fut lors que le salut de ce jeune prince fut en hazard, d’autant que, la convoitise du gain aiguillonnant les cœurs humains, il n’y avait ami, ni ennemi, qui n’aimât mieux cette belle somme de deniers que la prospérité d’Apollonie. Il n’y eut ville, château, bourg, village, pays, province, région, bois, ni montagne en Tyr, Sidon et Syrie, et lieux voisins, qui ne fût recherchée ; mais on n’en ouït aucune nouvelle. La mer fut couverte de vaisseaux, mais on avait tant tardé à dresser l’appareil des flottes, qu’Apollonie eut beau moyen de se sauver et éviter leur furie, et parvint au pays de Tharse, dit de la capitale cité d’iceluy, assise en la Cilicie. Étant à Tharse, ignorant l’édit de son bannissement et prescription, voici, comme il se promenait sur le port,