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CENT DIX-HUITIÈME HISTOIRE TRAGIQUE DE BELLEFOREST.

Cette réponse étonna merveilleusement le père incestueux, lequel, se sentant pincer sans rire et craignant que sa méchanceté ne fût découverte, dit à Apollonie : — Mon gentilhomme, vous avez mal regardé à vous, et ne pouvez échapper de mort, n’ayant satisfait à ma demande ; toutefois, pour l’amour de feu votre père, je vous ferai une grâce que je ne fis à aucun autre, qui est que je vous donne trente jours de délai pour mieux penser à ceci ; et, trouvant le nœud de ma question, vous aurez ma fille en mariage ; mais, y faillant, assurez-vous que vous mourrez, suivant la rigueur de l’édit.

Le prince, qui s’assurait d’avoir touché au but et gratté le roi au point où il ne se démangeait, vit aussitôt que sa vie était mal assurée près un homme forcené de fol amour ; et, pour ce, prenant congé du tyran, monta sur mer et se retira en son pays, avec intention de s’en aller si loin qu’Antiochus n’orrait rien de lui et ne pourrait l’accabler, comme il s’assurait qu’il y ferait ses efforts. Et n’était vain son pansement, car à peine fut-il à demi-chemin, que le roi envoya un des principaux de sa maison, auquel il avait confié le secret de son inceste, et auquel il communiqua ce qui s’était passé entre lui et Apollonie ; à cette cause, lui commanda de le poursuivre et le faire mourir à quelque prix que ce fût, ou de fer, ou par poison. Le courtisan, aussi homme de bien que son maître, s’armant de tout ce qui lui faisait besoin, à savoir du poison pour donner à Apollonie, et de l’argent à foison pour corrompre ses domestiques, s’en vint à Tyr, pensant y trouver le prince et le faire dépêcher, sous prétexte d’être là venu pour traiter le mariage que ce prince avait poursuivi. Mais Apollonie, qui n’ignorait pas combien sont longues les mains des rois, se résolut aussi de s’en aller le plus tôt qu’il lui serait possible, afin que le roi d’Asie ne vomit à Tyr sur lui ce courroux qu’il couvait dès la cité d’Antioche.