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APPENDICE.

— Ah ! m’amie, dit la fille, le fait est si déploré qu’il est hors de tout remède ; d’autant qu’avant que d’être légitimement mariée, j’ai été honnie et souillée si exécrablement, que la seule mémoire du crime me fait hérisser les cheveux et souhaiter la mort.

— Et qui est celui, dit la dame, qui a osé attenter un fait si témérairement, sans craindre la fureur du roi, qui punira rigoureusement celui qui l’a commis. Madame, il ne faut tant se tourmenter, ains le faire entendre au roi monseigneur votre père.

— Ha, malheureuse que je suis ! je n’ai plus de père, ce nom est perdu en mon endroit, et celui qui l’était est le même qui a souillé son sang, et perverti les lois de la nature. Et puisque le malheur est tel pour moi, et que l’infamie de la fille pourrait causer la ruine du père cruel, afin qu’aucun ne sache sa méchanceté, et que ce qu’il a injustement fait sur moi ne soit cause d’une juste ruine sur lui, il faut que je meure, et que cette main fasse sacrifice de moi-même aux ombres de la reine ma mère, à laquelle j’ai fait tort, quoique forcée, et à laquelle je ne peux satisfaire qu’en défaisant la plus triste et misérable princesse du monde.

Ce qu’ayant dit, elle met la main à un couteau qui était sur la table et s’en allait transpercer le cœur, si la dame d’honneur ne l’eut retenue et empêchée, en lui ôtant, la tançant et reprenant de cette furieuse et mal conseillée volonté, et la consolant, lui usa de ces paroles :

— Madame, puisque la chose est faite, le conseil en est pris, il n’y a plus moyen de la réparer qu’en la souffrant patiemment. Je confesse que c’est un grand forfait que celui que le roi a commis ; mais quoi ? L’amour est aveugle et ôte le jugement aux plus sages ; joint que les rois ont des licences non permises à chacun. Prenez courage, et ne résistez au destin auquel les dieux mêmes sont assujettis, ains