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INTRODUCTION.

même, se bat en Bretagne si vaillamment pour le service du roi ! Qu’importe que le roi soit lui-même marié ! Pour assouvir sa passion, l’amoureux couronné ne se fait pas scrupule de commettre un double adultère. Les résistances de celle qu’il aime n’ont fait qu’exaspérer son désir, et il charge Warwick, le père même de la comtesse, de plaider la cause de sa luxure. Warwick, moins père que vassal, obéit douloureusement à l’ordre de son suzerain, et, avec des sanglots dans la voix, vient presser son enfant de se prostituer au roi. Mais la comtesse, plus épouse que fille, méconnaît superbement cette autorité paternelle qui lui commande l’infamie, elle rejette l’injonction comme un outrage et Warwick, fier d’être ainsi désobéi, finit par la presser avec reconnaissance dans ses bras. — Édouard III survient alors croyant sa cause gagnée. Oui, enfin, la comtesse consent à se donner à lui, mais à une condition, c’est que le roi supprimera tous les vivants obstacles qui s’opposent à la légitimité de ses amours. Que le roi envoie au supplice le comte de Salisbury ! Que le roi fasse mettre à mort la reine Philippa, et la comtesse est à lui ! En mettant à son consentement une si impossible condition, la noble femme a cru décourager l’auguste libertin. Quelle illusion ! Édouard III ne peut-il pas tout ? N’a-t-il pas dans son omnipotence le blanc-seing même du crime ? « Pour arriver à cette Sestos où réside son Héro, » le royal Léandre n’hésite pas « à traverser un Hellespont de sang. » C’en est fait, Salisbury et la reine mourront. « Ta beauté, comtesse, est leur arrêt de mort ; et, sur ce verdict, moi, leur juge, je les condamne. » Ainsi parle Édouard III. Un double meurtre va produire un double veuvage, et le veuf va s’unir à la veuve. À l’idée de cet épouvantable accouplement, la comtesse frémit. Elle croyait faire reculer le roi en lui proposant dérisoirement ce sanglant marché ; mais le roi la prend au mot et la fait reculer à son tour. L’épouvantail, avec le-