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SCÈNE V.

en tournant, change les vents contraires, — de telle sorte que, protégés par un ciel favorable, — nos hommes soient vainqueurs, et que l’ennemi s’enfuie !

Rentre le marin.

— Mon cœur a un pressentiment sinistre… Parle, miroir de la mort livide ! — À qui appartient l’honneur de cette journée ? — S’il te reste assez de souffle, fais, je te prie, — le triste récit de ce désastre.

le marin.

J’obéis, monseigneur. — Mon gracieux souverain, la France a essuyé une défaite, — et l’arrogant Édouard triomphe de son succès. — Ces marines au cœur de fer, — qui, comme je le disais naguère à votre grâce, — toutes deux pleines de furie, d’espérance et de crainte, — couraient si hâtivement l’une sur l’autre, — ont fini par se joindre. L’amiral ennemi — a attaqué notre amiral par une formidable bordée. — Aussitôt les autres vaisseaux, ayant vu les deux chefs — donner ainsi les arrhes de l’extermination, — ont pris, comme des dragons de feu, leur essor superbe, — et, s’étant rencontrés, se sont lancé — de leurs entrailles fumantes mille sinistres messagers de mort. — Alors le jour s’est changé en une nuit funèbre. — Les ténèbres enveloppaient les vivants — autant que ceux à qui l’existence venait d’être arrachée. — Les amis n’avaient plus le loisir de se dire adieu ; — et, quand ils l’auraient eu, l’épouvantable vacarme était tel — que les uns semblaient devenus sourds et muets pour les autres. — La mer était pourpre ; ses eaux absorbaient les flots de sang qui jaillissaient des blessures, — à mesure que la lame écumante pénétrait — par les crevasses des planches trouées de boulets. — Ici flottait une tête, séparée du tronc ; — là, sautaient sur la vague des bras et des jambes mutilés :