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LES APOCRYPHES.

pour faire recette, de profiter de l’actualité. Peut-être aussi l’auteur a-t-il craint, en développant pleinement son œuvre, de blesser les susceptibilités de la famille Calverly qui venait d’être si tragiquement et si cruellement éprouvée. Cette famille, influente, bien apparentée, en relation avec l’aristocratie et avec la cour, pouvait d’un jour à l’autre réclamer en haut lieu contre une exhibition publique qui offensait son deuil ; et, dans ce cas, le veto du lord chambellan aurait suspendu soudainement la série des représentations. Il est fort possible que cette appréhension ait fait reculer l’écrivain, et l’ait empêché d’achever l’ouvrage qu’il avait si magistralement ébauché. Une particularité qui donne force à cette dernière hypothèse, c’est que l’auteur a évité de nommer par leurs noms véritables les personnages mis en scène : Walter Calverly et mistress Calverly sont prudemment désignés dans la pièce par ces vagues appellations. le mari, la femme ; et cette précaution discrète attestait tout au moins chez l’écrivain l’intention de ménager une famille dont les malheurs occupaient le pays tout entier et faisaient même le sujet d’une complainte publiquement chantée dans les rues de Londres[1].

Les imperfections d’une Tragédie dans l’Yorkshire ainsi expliquées et justifiées, nous n’avons plus qu’a rendre justice aux surprenantes qualités de cette esquisse. Comment ne pas admirer ce dialogue si nerveux, si incisif, si coloré ? Qui ne reconnaît la poésie shakespearienne dans ce vers si souple et si pittoresque qui, par la variété de sa coupe et la liberté de ses rejets, se plie si aisément à toutes les ondulations de la pensée ? Ce langage, à la fois si vrai et

  1. Sur les registres du Stationers’Hall, à l’année 1605, est inscrite « La ballade du lamentable meurtre commis en Yorkshire par un gentilhomme sur la personne de deux de ses enfants et des blessures cruelles faites par lui à sa femme et à une nourrice. »