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LES APOCRYPHES.

sur une composition appartenant à l’art plastique, combien l’erreur doit être facile en présence d’une œuvre de la pensée pure ! Ici la critique n’est plus guidée par des indices physiques qui sautent aux yeux, — les nuances de la couleur, les traits du dessin, les dispositions des plans, les reliefs de la forme, les traces même de la brosse, du burin, ou du ciseau ; elle n’est plus renseignée que par des éléments impalpables, — la filiation des idées, le tour des phrases, l’agencement des mots, les modes d’élocution, manifestations immatérielles de la pensée invisible. Il faut que l’esprit juge l’esprit ; il faut qu’il décide à quelle inspiration est due telle expression, de quelle imagination émane telle image. Pas d’enquête plus délicate et plus ardue. Quelle expérience consommée ne faut-il pas pour dire : ceci est authentique, et ceci est apocryphe ! S’il y a déjà tant d’audace à prétendre que telle composition anonyme est de tel auteur, quelle témérité n’y a-t-il pas à affirmer que telle œuvre signée de tel écrivain n’est pas de cet écrivain !

Saint Jérôme, triant les Écritures, condamnant certains évangiles et consacrant certains autres, — Origène, excluant des livres canoniques l’épître de saint Paul aux Hébreux, les épîtres de saint Jacques et de saint Jude, la seconde et la troisième épître de saint Jean, — Aristarque et les scoliastes d’Alexandrie, expurgeant Homère et retranchant de l’Iliade les interpolations des rhapsodes, — Huet, évêque d’Avranches, raturant plus de quatre-vingts hymnes d’Orphée, m’ont toujours paru assumer une formidable responsabilité. C’est dans ces matières surtout que le doute est la méthode par excellence. La Batrachomyomachie est-elle, ou non, d’Homère ? Le Culex et le Ciris sont-ils, ou non, de Virgile ? Vieilles questions qui ne peuvent être légèrement résolues. Pour se prononcer sur l’authenticité d’un travail attribué à un maître, il ne suffit pas en effet de comparer ce travail à des compositions incontestées et célèbres ;