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LES APOCRYPHES.

ver ses enfants ; en échange de cette main coupée, il reçoit, au lieu de la grâce promise, leurs deux têtes sanglantes. — Ces effroyables représailles en provoquent de plus effroyables. Titus, à bout de résignation, s’empare des deux fils de Tamora, les éventre, fait recueillir par Lavinia violée le sang qui coule, puis avec la chair broyée, dont ce sang est la sauce, compose un pâté qu’il offre comme en-cas à l’impératrice. Cette collation achevée, Titus poignarde sa propre fille Lavinia, poignarde Tamora, et est à son tour poignardé par Saturninus. Sur quoi le dernier fils de Titus, Lucius, assassine Saturninus et, ayant été proclamé empereur, fait enterrer vivant le more Aaron.

Cette fable, indiquée sommairement par un conteur du seizième siècle, Paynter, dans un recueil de nouvelles intitulé The Palace of pleasure (1567), combine, comme l’a remarqué Schlegel, les atrocités de la légende de Philomèle, violée et mutilée par Térée, avec les horreurs du festin d’Atrée et de Thyeste. Elle entasse, comme à plaisir, les monstruosités. Elle blesse hideusement les sentiments les plus doux et les plus sacrés ; elle outrage l’amour filial, l’amour conjugal, l’amour paternel, l’amour maternel, tous les amours. Elle révolte l’humanité. Dans cette barbare fiction, ni merci ni clémence. Nulle part il n’y a place pour la sympathie. À qui s’intéresser ici ? À qui s’attacher ? Qui peut-on aimer et admirer dans ce drame coupe-gorge ? Est-ce Lavinia violée et mutilée ? Mais Lavinia elle-même trouvera des forces, au moment suprême, pour tenir entre ses moignons rouges la cuvette où doit couler le sang de ses ennemis, et cette victime sera à son tour un bourreau. Est-ce le héros de la pièce, Titus Andronicus ? Mais Titus a donné lui-même l’exemple de la férocité. Il s’arrache les cheveux quand un messager lui apporte, de la part de Tamora, les têtes de ses fils, mais lui-même n’a-t-il pas de sang-froid fait tuer le fils aîné de la reine prisonnière ? Et,