Page:Shakespeare, apocryphes - Œuvres complètes, traduction Hugo, Pagnerre, 1866, tome 1.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
49
INTRODUCTION.

monde parce que Rémus pouvait enjamber sa première muraille ? » Horn reprend la thèse de Schlegel et la justifie philosophiquement. À l’entendre, Titus a été l’effort primitif et nécessaire d’un génie qui se cherchait, et cette monstrueuse composition était l’ébauche indispensable d’un chef-d’œuvre accompli plus tard. Ulrici, comme Horn, considère Titus comme l’aberration inévitable d’un esprit sublime, et, suivant lui, les commentateurs anglais ont prouvé l’étroitesse de leurs vues en éliminant du théâtre de Shakespeare une œuvre qui en est l’assise naturelle.

Devant cette protestation unanime de la critique allemande, une réaction complète s’est opérée depuis vingt-cinq années dans le public lettré d’Angleterre. Les raisonnements de Schlegel et de Horn ont eu définitivement raison des objections de Johnson et de Pope, et le jugement prononcé par Malone a été cassé en dernier ressort. Emportée par la ferveur même de sa conversion, la critique britannique a entrepris de réhabiliter ce drame qu’elle avait flétri pendant un siècle et demi. M. Collier, dans sa récente édition, proclame que le moment est venu de remettre à sa place Titus Andronicus et de reconnaître dans cette composition « maints passages qui sont de remarquables preuves d’habileté et de puissance chez un auteur inexpérimenté. » Quant à M. Charles Knight, l’érudit éditeur du Pictorial Shakspere, il a une telle dévotion pour l’in-folio de 1623, qu’il tient pour impiété le moindre doute sur l’authenticité de Titus Andronicus. À ses yeux, Pope, Johnson et Malone, déclarant apocryphe un ouvrage inséré dans ce saint livre, sont de véritables hérésiarques. L’in-folio fait foi. Tout ce qui dans ce texte sacré est attribué au maître est l’œuvre du maître. Shakespeare a écrit Titus Andronicus, comme il a écrit Hamlet. Que vient-on nous dire ? Que Shakespeare a révisé là le travail de quelque faiseur inconnu ! M. Knight n’admet pas cette doctrine hétérodoxe, et il affirme que Ti-