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LES APOCRYPHES.

elle jamais ? Je ne le crois pas. Depuis le jour où les protestations de Pope ont fait proscrire du répertoire shakespearien six des sept pièces remises au jour par l’in-folio de 1664, la critique anglaise n’a cessé de renier et d’excommunier les œuvres non comprises dans l’in-folio sacré de 1623. Un seul drame, Périclès, a trouvé grâce devant elle, et a pu, par une contradiction devenue séculaire, être admis parmi les créations légitimes du poëte. La critique allemande, moins exclusive et plus philosophique que la critique anglaise, mieux initiée aux mystères du verbe shakespearien, moins esclave de la lettre et plus fidèle à l’esprit, a généralement reconnu et affirmé l’authenticité des pièces réputées apocryphes au delà de la Manche. Tieck les a presque toutes traduites et insérées dans sa belle édition. Lessing a voulu faire jouer le Prodigue de Londres sur la scène germanique. Schlegel rangeait lord Cromwell, Sir John Oldcastle, une Tragédie dans l’Yorkshire parmi « les conceptions les meilleures et les plus mûres » de Shakespeare. L’ingénieux commentateur Ulrici retrouve la grande ironie du maître dans la partie comique de Locrine, et demande spirituellement qu’on lui nomme le Shakespeare inconnu qui a écrit Édouard III.

Entre la critique d’outre-Manche et la critique d’outre-Rhin, une place est marquée d’avance pour la critique française, si éclairée et si sagace. Sans préjugé et sans passion, à la fois précise comme sa sœur d’Angleterre et élevée comme sa sœur d’Allemagne, la critique française semble désignée par son impartialité même à prononcer en dernier ressort dans ce débat littéraire qui divise aujourd’hui la patrie de Schiller et la patrie de Pope. C’est à elle que j’en appelle ici humblement. Je la convie à évoquer à ses assises ce procès séculaire et à déterminer par son verdict cette grande question de paternité idéale. Entre les seize drames attribués au maître, il en est quatre dont,