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LE CONTE DU CHEVALIER.

mer toutes mes peines, à vous, ma dame bien-aimée ; mais, puisque ma vie ne peut plus se prolonger, je voue mon âme à votre service. Hélas ! hélas ! les longues et vives souffrances que j’ai subies pour vous ! Hélas ! mourir ! hélas ! mon Émilie ! hélas ! quitter votre compagnie ! Hélas ! reine de mon cœur ! hélas ! ma femme ! Qu’est-ce que ce monde ? qu’est-ce que le bonheur souhaité par les hommes ? Tout à l’heure la joie de l’amour, maintenant le froid du tombeau solitaire ! Adieu, ma chérie, adieu, mon Émilie !… Au nom du ciel, écoutez ce que j’ai encore à dire. J’ai eu ici avec mon cousin Palémon une querelle longue et acharnée pour l’amour de vous et par jalousie. Eh bien, j’en jure par la faveur que mon âme attend de Jupiter, je ne connais pas sur la terre un chevalier plus accompli que Palémon sous le rapport de la loyauté, de l’honneur, de la sagesse, de la modestie, de la dignité, de la générosité ; non, je n’en connais pas qui soit plus digne d’être aimé que ce Palémon qui vous sert et veut vous servir toute sa vie. Et si jamais vous vous mariez, n’oubliez pas Palémon, le gentilhomme !

À ces mots, sa voix commença à faiblir, et le froid de la mort monta de ses pieds à sa poitrine. Il jeta sur sa dame un suprême regard, et son dernier mot fut : Merci, Émilie ! Son âme changea de résidence, et s’en alla vers ces lieux que je ne puis vous décrire, n’y ayant jamais été… Émilie se lamentait, Palémon gémissait, et Thésée fit emporter loin du cadavre sa sœur évanouie. Immense fut le chagrin des jeunes et des vieilles gens dans toute la ville, à cause de la mort de ce Thébain. La désolation fut certes moins grande à Troie, quand on y rapporta Hector, tout fraîchement tué. Cependant, après plusieurs années écoulées, la douleur publique se calma. Et il y eut, paraît-il, un parlement à Athènes pour traiter certaines questions ; entre autres choses, on y parla de conclure une alliance avec certains pays, et d’assurer la pleine soumission des Thébains.