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LE CONTE DU CHEVALIER.

Vénus dans tout son éclat, dans tout son abandon, et que tu la maîtrisais dans tes bras, si bien qu’à une heure malencontreuse Vulcain te prit au piége et te trouva, hélas ! couché près de son épouse, — au nom des chagrins que tu ressentis alors dans ton cœur, aie compassion de mes peines aiguës. Je suis, tu le sais, jeune et inexpérimenté, et, à ce que je crois, l’être le plus blessé d’amour qui ait jamais vécu. Car celle qui me fait endurer toutes ces souffrances se soucie peu si je naufrage ou si je surnage. Et, avant qu’elle ait pitié de moi, je sais bien qu’il me faudra la conquérir par la force. Et je sais bien que, sans ton aide ou sans ta faveur, ma force est impuissante. Aide-moi, seigneur, demain dans ma bataille, au nom de la flamme qui te brûla jadis et qui aujourd’hui me consume, et fais en sorte que demain j’obtienne la victoire. À moi le labeur, et à toi la gloire ! Je m’engage à honorer surtout ton temple souverain et à me consacrer à tes plaisirs et à tes travaux énergiques. Je veux suspendre dans ton temple ma bannière et toutes les armes de ma compagnie, et toujours, jusqu’à ma mort, entretenir devant toi un feu éternel. Je m’y engage par un vœu solennel. Ma barbe, ma flottante chevelure, qui n’a jamais subi l’outrage du rasoir ou du ciseau, je veux te les offrir, et être toute ma vie ton fidèle serviteur. Maintenant, seigneur, aie pitié de mes chagrins cuisants, et accorde-moi la victoire ; c’est tout ce que je demande.

Cette prière achevée, les anneaux suspendus aux portes du temple et les portes elles-mêmes s’agitèrent violemment ; ce dont Arcite fut quelque peu effaré. Les flammes s’élevèrent au-dessus de l’autel éclatant, si bien que tout le temple en fut illuminé ; un doux parfum s’éleva du sol, et Arcite leva la main et jeta dans le brasier un nouvel encens, et, enfin, après d’autres cérémonies, la statue de Mars secoue bruyamment son haubert et, en même temps,