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LE CONTE DU CHEVALIER.

que tu puisses t’équiper ; tu choisiras la meilleure, et me laisseras la pire. Et ce soir même je t’apporterai à boire et à manger, et des couvertures pour te coucher. Et si le sort veut que tu obtiennes ma dame, en me tuant dans ce bois, je me résigne : au lieu de m’appartenir, Émilie sera ta dame.

Palémon répondit : « C’est convenu. » Et sur ce, ils se séparèrent jusqu’au matin comme chacun s’y était engagé. Le matin venu, avant même le lever du jour, Arcite s’était rendu à cheval à la ville et s’était secrètement procuré deux armures propres au combat qui devait avoir lieu. Comme il était seul, il mit ces armures devant lui sur son cheval ; et, dans le bois, au lieu et au moment désigné, il rejoignit Palémon. Aucun bonjour, aucun salut ne fut échangé. Mais sur-le-champ, sans proférer une parole, ils s’aidèrent l’un l’autre à s’armer, aussi amicalement que s’ils étaient deux frères. Cela fait, brandissant leurs lances effilées et fortes, ils fondirent l’un sur l’autre avec un merveilleux acharnement.

Belle était la matinée, comme je l’ai dit, et Thésée, plein de joie et de gaîté, avec son Hippolyte, la belle reine, et Émilie, toute de vert habillée, était monté à cheval pour chasser, et s’était dirigé tout droit sur le bois où un cerf avait été signalé. Il galopa ainsi jusqu’à une clairière d’où ce cerf avait l’habitude de s’élancer pour traverser un ruisseau et poursuivre sa route. Et, quand le duc fut venu à cette clairière, il aperçut Arcite et Palémon qui combattaient au soleil. Les épées étincelantes allaient et venaient si affreusement qu’il semblait que le moindre coup dût abattre un chêne. Qui étaient ces hommes ? Le duc n’en savait rien ; il donna de l’éperon à son coursier, et d’un bond il fut entre les deux combattants, et, tirant son épée, leur cria : — Holà ! Arrêtez, sous peine de la vie ! Par le puissant Mars, c’en est fait du premier qui frappera. Mais,