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LE CONTE DU CHEVALIER.

nellement, non pas même dans le purgatoire, — dans l’enfer ! Hélas ! pourquoi ai-je connu Pirithoüs ? Sans lui, je serais resté chez Thésée, à jamais enchaîné dans cette prison ; et j’y aurais trouvé, non le malheur, mais la béatitude. Car il m’eût suffi d’apercevoir celle que j’aime, sans même avoir l’espoir d’obtenir ses faveurs… Ô cher cousin Palémon, ajoutait-il, tu triomphes de cette aventure. Tu peux, toi, rester en prison dans une complète félicité. En prison ? Non, en un paradis ! La fortune a tourné les dés en ta faveur. À toi la vue d’Émilie ! À moi, son absence ! Puisque je ne puis plus vous voir, Émilie, je suis perdu, et perdu sans remède.

De son côté Palémon, quand il apprit le départ d’Arcite, en conçut un tel chagrin que la grande tour retentissait de ses clameurs et de ses hurlements. Les chaînes même qui pesaient sur ses jambes étaient mouillées de ses larmes saumâtres :

— Hélas ! disait-il, Arcite, mon cousin, le fruit de toute notre lutte est à toi. Tu marches maintenant dans Thèbes à ton aise, et mon malheur ne te pèse guère. Tu peux, puisque tu as et la sagesse et l’énergie, réunir tous les gens de ta race, et faire à ce pays une guerre terrible, de manière à obtenir pour dame et pour épouse, par quelque succès ou par quelque traité, celle pour qui je me sens mourir. Dans les voies de la possibilité, puisque tu es délivré de prison et que tu es prince, ton avantage est grand, plus grand que mon avantage, à moi qui me morfonds ici dans une cage. Car je n’ai plus qu’à pleurer tout le reste de ma vie, sous le poids de tout le chagrin que peut me causer la prison, doublé de la douleur que doit me causer l’amour.

Sur ce, le feu de la jalousie pénétra dans son sein et envahit son cœur si profondément, qu’il devint blême comme la cendre du buis éteinte et refroidie. L’été passa,