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ne s’y déplaît pas, si l’on compte subsister ainsi, je l’appelle une existence ridicule.

C’est une bien belle chose, dans les livres, que le mépris des richesses ; mais avec un ménage et point d’argent, il faut ou ne rien sentir, ou avoir une force inébranlable ; or je doute qu’avec un grand caractère on se soumette à une telle vie. On supporte tout ce qui est accidentel ; mais c’est adopter cette misère que d’y plier pour toujours sa volonté. Ces stoïciens-là manqueraient-ils du sentiment des choses convenables, qui apprend à l’homme que vivre ainsi n’est point vivre selon sa nature ? Leur simplicité sans ordre, sans délicatesse, sans honte, ressemble plus, à mon avis, à la sale abnégation d’un moine mendiant, à la grossière pénitence d’un fakir, qu’à la fermeté, qu’à l’indifférence philosophique.

Il est une propreté, un soin, un accord, un ensemble dans la simplicité même. Les gens dont je parle n’ont pas un miroir de vingt sous, et ils vont au spectacle ; ils ont de la faïence écornée, et des habits de fin drap ; ils ont des manchettes bien plissées à des chemises d’une toile grossière. S’ils se promènent, c’est aux Champs-Élysées ; ces solitaires y vont voir les passants, disent-ils ; et, pour voir ces passants, ils vont s’en faire mépriser et s’asseoir sur quelques restes d’herbe parmi la poussière que fait la foule. Dans leur flegme philosophique ils dédaignent les convenances arbitraires, et mangent leur brioche à terre, entre les enfants et les chiens, entre les pieds de ceux qui vont et reviennent. Là ils étudient l’homme en jasant avec les bonnes et les nourrices : là ils méditent une brochure, où les rois seront avertis des dangers de l’ambition ; où le luxe de la bonne société sera réformé ; où tous les hommes apprendront qu’il faut modérer ses désirs, vivre selon la nature, et manger des gâteaux de Nanterre.

Je ne veux pas vous en dire plus. Si j’allais vous mener