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d’ignorer quand tout doit finir : on commencerait rarement ce que l’on saurait ne pas achever. Je veux donc que chez l’homme, à peu près tel qu’il est, l’ignorance de la durée de la vie ait plus d’utilité que d’inconvénients ; mais l’incertitude des choses de la vie n’est point comme celle de leur terme. Un incident que vous n’avez pu prévoir dérange votre plan, et vous prépare de longues contrariétés : pour la mort, elle anéantit votre plan, elle ne le dérange pas ; vous ne souffrirez point de ce que vous ne saurez pas. Le plan de ceux qui restent en peut être contrarié ; mais c’est avoir assez de certitude que d’avoir celle de ses propres affaires, et je ne veux pas imaginer des choses tout à fait bonnes selon l’homme. Le monde que j’arrange me serait suspect s’il ne contenait plus de mal, et je ne supposerais qu’avec une sorte d’effroi une harmonie parfaite : il me semble que la nature n’en admet pas de telle.

Un climat fixe, et surtout des hommes vrais, inévitablement vrais, cela me suffit. Je suis heureux, si je sais ce qui est. Je laisse au ciel ses orages et ses foudres ; à la terre les boues, les sécheresses ; au sol la stérilité ; à nos corps leur faiblesse, leur dégénération ; aux hommes leurs différences et leurs incompatibilités, leur inconstance, leurs erreurs, leurs vices mêmes, et leur nécessaire égoïsme ; au temps sa lenteur et son irrévocabilité : ma cité est heureuse si les choses sont réglées, si les pensées sont connues. Il ne lui faut plus qu’une bonne législation ; et, si les pensées sont connues, il est impossible qu’elle ne l’ait pas.

LETTRE XV.

Fontainebleau, 9 août, II.

Parmi quelques volumes d’un format commode que j’apportai ici, je ne sais trop pourquoi, j’ai trouvé le ro-