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regret quelque autre y travailler. Elle dura, je crois, douze jours. Ma brouette allait et revenait dans des chemins négligés et remplis d’une herbe humide ; je choisissais les moins unis, les plus difficiles, et les jours coulaient ainsi dans l’oubli, au milieu des brouillards, parmi les fruits, au soleil d’automne… J’ai vu les vanités de la vie, et je porte en mon cœur l’ardent principe de ses plus vastes passions. J’y porte aussi le sentiment des grandes choses sociales et de l’ordre philosophique… Tout cela peut animer mon âme et ne la remplit pas. Cette brouette, que je charge de fruits et pousse doucement, la soutient mieux. Il semble qu’elle voiture paisiblement mes heures, et que son mouvement utile et lent, sa marche mesurée, conviennent à l’habitude ordinaire de la vie. »

Après avoir épuisé les désirs immenses, irréalisables, après avoir dit : « Il y a l’infini entre ce que je suis et ce que je voudrais être. Je ne veux point jouir, je veux espérer… Que m’importe ce qui peut finir ? » Obermann, fatigué de n’être rien, se résigne à n’être plus. Il s’obscurcit, il s’efface. « Je ne veux plus de désirs, dit-il, ils ne me trompent point… Si l’espérance semble encore jeter une lueur dans la nuit qui m’environne, elle n’annonce rien que l’amertume qu’elle exhale en s’éclipsant, elle n’éclaire que l’étendue de ce vide où je cherchais, et où je n’ai rien trouvé. »

Le silence des vallées, les soins paisibles de la vie pastorale, les satisfactions d’une amitié durable et partagée, sentiment exquis dont son cœur avait toujours caressé l’espoir, telle est la dernière phase d’Obermann. Il ne réussit point à se créer un bonheur romanesque, il témoigne pour cette chimère de la jeunesse un continuel mépris. C’est la haine superbe des malheureux pour les promesses qui les ont leurrés, pour les biens qui leur ont échappé ; mais il se soumet, il s’affaisse, sa douleur s’endort, l’habitude de la vie domestique engourdit ses agitations rebelles, il s’abandonne à cette salutaire indolence, qui est à la fois un progrès de la raison raffermie et un bienfait du ciel apaisé. La seule exaltation qu’Obermann conserve dans toute sa fraîcheur, c’est la reconnaissance et l’amour pour les dons et les grâces de la nature. Il finit par une grave et adorable oraison