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C’était en mars : j’étais à Lu**. Il y avait des violettes au pied des buissons, et des lilas dans un petit pré bien printanier, bien tranquille, incliné au soleil de midi. La maison était au-dessus, beaucoup plus haut. Un jardin en terrasse ôtait la vue des fenêtres. Sous le pré, des rocs difficiles et droits comme des murs ; au fond, un large torrent, et par delà, d’autres rochers couverts de prés, de haies et de sapins ! Les murs antiques de la ville passaient à travers tout cela : il y avait un hibou dans leurs vieilles tours. Le soir, la lune éclairait ; des cors se répondaient dans l’éloignement ; et la voix que je n’entendrai plus…! Tout cela m’a trompé. Ma vie n’a encore eu que cette seule erreur. Pourquoi donc ce souvenir de Fontainebleau, et non pas celui de Lu** ?

LETTRE XII.

28 juillet, II.

Enfin je me crois dans le désert. Il y a ici des espaces où l’on n’aperçoit aucune trace d’hommes. Je me suis soustrait, pour une saison, à ces soins inquiets qui usent notre durée, qui confondent notre vie avec les ténèbres qui la précédent et les ténèbres qui la suivent, ne lui laissant d’autre avantage que d’être elle-même un néant moins tranquille.

Quand je passai, le soir, le long de la forêt, et que je descendis à Valvin, sous les bois, dans le silence, il me sembla que j’allais me perdre dans des torrents, des fondrières, des lieux romantiques et terribles. J’ai trouvé des collines de grès culbutées, des formes petites, un sol assez plat et à peine pittoresque ; mais le silence, et l’abandon, et la stérilité m’ont suffi.

Entendez-vous bien le plaisir que je sens quand mon pied s’enfonce dans un sable mobile et brûlant, quand