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pétuel de tous les cris, de tous les travaux, de toute l’inquiétude d’un peuple actif. J’ai sous ma fenêtre une sorte de place publique remplie de charlatans, de faiseurs de tours, de marchandes de fruits et de crieurs de tous genres. Vis-à-vis est le mur élevé d’un monument public ; le soleil l’éclaire depuis deux heures jusqu’au soir : cette masse blanche et aride tranche durement sur le ciel bleu, et les plus beaux jours sont pour moi les plus pénibles. Un colporteur infatigable répète les titres de ses journaux : sa voix dure et monotone semble ajouter à l’aridité de cette place brûlée du soleil ; et si j’entends quelque blanchisseuse chanter à sa fenêtre sous les toits, je perds patience et je m’en vais. Voici trois jours qu’un pauvre estropié et ulcéré se place au coin d’une rue tout près de moi, et là il demande d’une voix élevée et lamentable durant douze grandes heures. Imaginez l’effet de cette plainte répétée à intervalles égaux, pendant les beaux jours fixes. Il faut que je reste dehors tout le jour, jusqu’à ce qu’il change dé place. Mais où aller ? je connais ici très-peu de monde ; ce serait un grand hasard que, dans si peu de personnes, il y en eût une seule à qui je convinsse : aussi ne vais-je nulle part. Pour les promenades publiques, il y en a de fort belles à Paris ; mais pas une où je puisse rester une demi-heure sans ennui.

Je ne connais rien qui fatigue tant nos jours que cette perpétuelle lenteur de toutes choses. Elle retient sans cesse dans un état d’attente : elle fait que la vie s’écoule avant que l’on ait atteint le point où l’on prétendait commencer à vivre. De quoi me plaindrai-je pourtant ? combien peu d’hommes ne perdent pas leur vie ! Et ceux qui la passent dans les cachots construits par la bienfaisance des lois ! Mais comment peut-il se résoudre à vivre, celui qui supporte dans un cachot vingt années de sa jeunesse ? il ignore toujours combien il y doit rester encore : si le