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le lendemain matin nous nous ennuyons un peu plus.

Si le temps n’était pas à l’orage, je ne sais comment je passerais la journée ; mais le tonnerre retentit déjà dans les rochers, le vent devient très-violent : j’aime beaucoup tout ce mouvement des airs. S’il pleut l’après-midi, il y aura de la fraîcheur, et du moins je pourrai lire auprès du feu.

Le courrier qui va arriver dans une heure doit m’apporter des livres de Lausanne, où je suis abonné ; mais s’il m’oublie, je ferai mieux, et le temps se trouvera passé de même : je vous écrirai, pourvu que j’aie seulement le courage de commencer.

LETTRE VII.

Saint-Maurice, 3 septembre, I.

J’ai été jusqu’à la région des glaces perpétuelles, sur la dent du Midi. Avant que le soleil parût dans la vallée, j’étais déjà parvenu sur le massif de roc qui domine la ville, et je traversais le replain[1] en partie cultivé qui le couvre. Je continuai par une pente rapide, à travers d’épaisses forêts de sapins, dont plusieurs parties furent couchées par d’anciens hivers : ruines fécondes, vaste et confus amas d’une végétation morte et reproduite de ses vieux débris. A huit heures, j’atteignis au sommet découvert qui surmonte cette pente, et qui forme le premier degré remarquable de la masse étonnante dont la cime restait encore si loin de moi. Alors je renvoyai mon guide, je m’essayai avec mes propres forces ; je voulais que rien de mercenaire n’altérât cette liberté alpestre, et que nul

  1. Ce mot, qu’il serait difficile de remplacer par une expression aussi juste, a été adopté ici apparemment pour cette raison : comme il est usité dans les Alpes, je ne l’ai point changé.