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changeantes, multipliées. Ce qui m’a plu me plaira toujours ; ce qui a suffi à mes besoins leur suffira dans tous les temps. Le jour semblable au jour qui fut heureux est encore un jour heureux pour moi ; et comme les besoins positifs de ma nature sont toujours à peu près les mêmes, ne cherchant que ce qu’ils exigent, je désire toujours à peu près les mêmes choses. Si je suis satisfait aujourd’hui, je le serai demain, je le serai toute l’année, je le serai toute ma vie ; et si mon sort est toujours le même, mes vœux toujours simples seront toujours remplis.

L’amour du pouvoir ou des richesses est presque aussi étranger à ma nature que l’envie, la vengeance ou les haines. Rien ne doit aliéner de moi les autres hommes ; je ne suis le rival d’aucun d’eux ; je ne puis pas plus les envier que les haïr ; je refuserais ce qui les passionne, je refuserais de triompher d’eux, et je ne veux pas même les surpasser en vertu. Je me repose dans ma bonté naturelle. Heureux qu’il ne me faille point d’efforts pour ne pas faire le mal, je ne me tourmenterai point sans nécessité ; et, pourvu que je sois homme de bien, je ne prétendrai pas être vertueux. Ce mérite est très-grand, mais j’ai le bonheur qu’il ne me soit pas indispensable, et je le leur abandonne : c’est détruire la seule rivalité qui pût subsister entre nous. Leurs vertus sont ambitieuses comme leurs passions ; ils les étalent fastueusement ; et ce qu’ils y cherchent surtout, c’est la primauté. Je ne suis point leur concurrent ; je ne le serai pas même en cela. Que perdrai-je à leur abandonner cette supériorité ? Dans ce qu’ils appellent vertus, les unes, seules utiles, sont naturellement dans l’homme constitué comme je me trouve l’être, et comme je penserais volontiers que tout homme l’est primitivement ; les autres, compliquées, difficiles, imposantes et superbes, ne dérivent point immédiatement de la nature de l’homme : c’est pour cela que je les trouve