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pièce de la maison, je passai une heure, ou davantage, dans l’oubli de cet état d’exaltation dont j’avais entretenu le singulier bonheur. Nul et triste depuis ma délivrance, je fis ce qu’on voulut : on me donna du vin chaud, ne sachant pas que j’avais surtout besoin d’une nourriture plus solide.

Un de mes hôtes m’avait vu gravir la montagne vers la fin du jour pendant ces bourrasques de neige que redoutent les montagnards mêmes, et il avait dit ensuite dans le village : Il a passé ce soir un étranger qui allait là-haut ; de ce temps-ci, c’est autant de mort. Lorsque plus tard ces braves gens reconnurent qu’effectivement j’eusse été perdu sans le mauvais état de leur volet, un d’eux s’écria en patois : Mon Dieu, ce que c’est que de nous !

Le lendemain on m’apporta mes vêtements bien séchés et à peu près réparés ; mais je ne pus me défaire d’un frisson assez fort, et d’ailleurs plusieurs pieds de neige sur le sol s’opposaient à ce que je me remisse volontiers en route. Je passai la moitié de la journée chez le curé de cette faible bourgade, et je dînai avec lui : je n’avais pas mangé depuis quarante et quelques heures. Le jour suivant, la neige ayant disparu sous le soleil du matin, je franchis sans guide les cinq lieues difficiles, et les symptômes de fièvre me quittèrent pendant ma marche. A l’hospice, où je fus bien accueilli, j’eus néanmoins le malheur de ne pas tout approuver. Je trouvais déplacée une variété de mets qu’en des lieux semblables je ne qualifiais pas d’hospitalité attentive, mais de recherche ; et il me sembla aussi que dans la chapelle, cette église de la montagne, une simplicité plus solennelle eût mieux convenu que la prétention des enjolivements. Je restai le soir au petit village de Saint-Remi en Italie. Le torrent de la Doire se brise contre un angle des murs de l’auberge. Ma fenêtre resta ouverte, et, toute la nuit, ce fracas m’éveilla