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nelles ou irascibles. Je m’aime moi-même, mais c’est dans la nature, c’est dans l’ordre qu’elle veut, c’est en société avec l’homme qu’elle veut, c’est en société avec l’homme qu’elle fit, et d’accord avec l’universalité des choses. A la vérité, jusqu’à présent du moins, rien de ce qui existe n’a pleinement mon affection, et un vide inexprimable est la constante habitude de mon âme altérée. Mais tout ce que j’aime pourrait exister, la terre entière pourrait être selon mon cœur, sans que rien ne fût changé dans la nature ou dans l’homme lui-même, excepté les accidents éphémères de l’œuvre sociale.

Non, l’homme singulier n’est pas ainsi. Sa folie a des causes factices. Il ne se trouve point de suite ou d’ensemble dans ses affections ; et comme il n’y a d’erreur et de bizarreries que dans les innovations humaines, tous les objets de sa démence sont pris dans l’ordre des choses qui excite les passions immodérées des hommes, et l’industrieuse fermentation de leurs esprits toujours agités en sens contraires.

Pour moi, j’aime les choses existantes ; je les aime comme elles sont. Je ne désire, je ne cherche, je n’imagine rien hors de la nature. Loin que ma pensée divague et se porte sur des objets difficiles ou bizarres, éloignés ou extraordinaires, et qu’indifférent pour ce qui s’offre à moi, pour ce que la nature produit habituellement, j’aspire à ce qui m’est refusé, à des choses étrangères et rares, à des circonstances invraisemblables et à une destinée romanesque, je ne veux, au contraire, je ne demande à la nature et aux hommes, je ne demande pour ma vie entière que ce que la nature contient nécessairement, ce que les hommes doivent tous posséder, ce qui peut seul occuper nos jours et remplir nos cœurs, ce qui fait la vie.

Comme il ne me faut point des choses difficiles ou privilégiées, il ne me faut pas non plus des choses nouvelles,