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nous est donné de vous apercevoir ? La majesté de la nuit répète d’âge en âge : malheur à toute âme qui se complaît dans la servitude !

Sommes-nous faits pour jouir ici de l’entraînement des désirs ? Après cette attente, après les succès, que dirons-nous de la satisfaction de quelques journées ? Si la vie n’est que cela, elle n’est rien. Un an, dix ans de volupté, c’est un futile amusement, et une trop prompte amertume ! Que restera-t-il de ces désirs, quand les générations souffrantes ou follement distraites passeront sur nos cendres ? Comptons pour peu de chose ce qui se dissipe rapidement. Au milieu du grand jeu du monde, cherchons un autre partage : c’est de nos fortes résolutions que quelque effet subsistera peut-être. — L’homme est périssable. — Il se peut ; mais périssons en résistant, et, si le néant nous est réservé, ne faisons pas que ce soit une justice.

Vous le savez, je me décourageais, croyant que mes dispositions changeaient déjà. Trop facilement je m’étais persuadé que ma jeunesse n’était plus. Mais ces différences avaient eu pour cause, comme je crois vous l’avoir dit depuis, des erreurs de régime, et cela est en grande partie réparé. J’avais mal observé la mobilité qui me caractérise, et qui contribue à mes incertitudes. C’est constamment une grande inconstance, bien plus dans les impressions que dans les opinions, ou même dans les penchants. Elle ne tient pas au progrès des années ; elle redevient ce qu’elle était. L’habitude de me contenir et de réprimer d’abord tous mes mouvements intérieurs m’en avait laissé méconnaître souvent moi-même les oppositions. Mais, je le vois, à quarante ans de distance, je ne différerai pas plus que cent fois je n’ai différé d’un quart d’heure à l’autre. Ainsi est agitée, au milieu de l’air, la cime d’un arbre trop flexible ; et, si vous la regardez à