Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/406

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’attachement. Je commence à songer aux plaisirs de l’amour, je ne suis plus digne d’une amante. L’amour lui-même ne me donnerait plus qu’une femme, et un ami. Comme nos affections changent ! comme le cœur se détruit ! comme la vie passe, avant de finir !

Je vous disais donc combien j’aimais à être ennuyé avec elle de tout ce qui fait les délices de la vie ; j’aimais bien plus les soirées tranquilles. Cela ne pouvait pas durer.

Il m’est arrivé rarement, mais quelquefois, d’oublier que je suis sur la terre comme une ombre qui s’y promène, qui voit et ne peut rien saisir. C’est là ma loi ; quand j’ai voulu m’y soustraire, j’en ai été puni. Quand une illusion commence, mes misères s’aggravent. Je me suis senti à côté du bonheur, j’en ai été épouvanté. Peut-être ces cendres que je crois éteintes se seraient-elles ranimées ? Il fallut partir.

Maintenant je suis dans un vallon perdu. Je m’attache à oublier de vivre. J’ai cherché le thé pour m’affaiblir, et jusqu’au vin pour m’égarer. Je bâtis, je cultive, je me joue avec tout cela. J’ai trouvé quelques bonnes gens, et je compte aller au cabaret[1] pour découvrir des hommes. Je me lève tard ; je me couche tard ; je suis lent à manger ; je m’occupe de tout, j’essaye de toutes les attitudes, j’aime la nuit et je presse le temps : je dévore mes heures froides, et suis avide de les voir dans le passé.

Fonsalbe est son frère. Nous parlons d’elle ; je ne puis l’en empêcher, il l’aime beaucoup. Fonsalbe sera mon ami : je le veux, il est isolé. Je le veux aussi pour moi ;

  1. Ce qui est impraticable en France est encore faisable dans presque toute la Suisse. Il y est reçu de s’y rencontrer vers le soir dans des maisons qui ne sont autre chose que des cabarets choisis. Ni l’âge, ni la noblesse, ni les premières magistratures ne font une loi du contraire.