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s’agitent pour les faire briller à des yeux jaloux toujours ouverts sur autrui. Ils se placent dans le point de vue favorable, afin que cette larme qui reste dans leur œil lui donne un éclat apparent, et soit enviée de loin comme l’expression du plaisir.

La vanité sociale est de paraître heureux. Tout homme se prétend seul à plaindre dans tout, et s’arrange de manière à être félicité de tout. S’il parle au confident de ses peines, son œil, sa bouche, son attitude, tout est douleur ; malgré la force de son caractère, de profonds soupirs accusent sa destinée lamentable, et sa démarche est celle d’un homme qui n’a plus qu’à mourir. Des étrangers entrent ; sa tête s’affermit, son sourcil s’élève, son œil se fixe, il fait entendre que les revers ne sauraient l’atteindre, qu’il se joue du sort, qu’il peut payer tous les plaisirs : il n’est pas jusqu’à sa cravate qui ne se trouve aussitôt disposée d’une manière plus heureuse ; et il marche comme un homme que le bonheur agite, et qui cède aux grands résultats de sa destinée.

Cette vaine montre, cette manie des beaux dehors n’est ignorée que des sots, et pourtant presque tous les hommes en sont dupes. La fête où vous n’êtes pas vous paraît un plaisir, au moment même où celle qui vous occupe n’est qu’un fardeau de plus. — Il jouit de cent choses ! dites-vous. — Ne jouissez-vous pas de ces mêmes choses, et de beaucoup d’autres peut-être ? — Je parais en jouir, mais... — Homme trompé ! ces mais ne sont-ils pas aussi pour lui ? Tous ces heureux se montrent avec leur visage des fêtes, comme le peuple sort avec l’habit des dimanches. La misère reste dans les greniers et dans les cabinets. La joie ou la patience sont sur ces lèvres qu’on observe ; le découragement, les douleurs, la rage des passions et de l’ennui, sont au fond des cœurs ulcérés. Dans cette grande population, tout l’extérieur est préparé ; il est