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premier venu, et qui sera forcé de rompre dans trois mois avec l’ami si inconsidérément choisi, ou de s’interdire toute sa vie une amitié réelle pour en conserver une fausse ?

Ces difficultés dans le mariage ne sont pas les mêmes pour tous ; elles sont en quelque sorte particulières à une certaine classe d’hommes, et dans cette classe elles sont fréquentes et grandes. On répond du sort d’autrui ; on est assujetti à des considérations multipliées, et il peut arriver que les circonstances ne permettent aucun choix raisonnable jusqu’à l’âge de n’en plus espérer.

LETTRE LXXXVII.

20 novembre, IX.

Que la vie est mélangée ! que l’art de s’y conduire est difficile ! Que de chagrins pour avoir bien fait ! que de désordres pour avoir tout sacrifié à l’ordre ! que de trouble pour avoir voulu tout régler, quand notre destinée ne voulait point de règle !

Vous ne savez trop ce que je veux vous dire avec ce préambule ; mais, occupé de Fonsalbe, plein de l’idée de ses ennuis, de ce qui lui est arrivé, de ce qui devait lui arriver, de ce que je sais, de ce qu’il m’a appris, je vois un abîme d’injustices, de dégoûts, de regrets ; et, ce qui est plus déplorable, dans cette suite de misères je ne vois rien d’étonnant, et rien qui lui soit particulier. Si tous les secrets étaient connus, si l’on voyait dans l’endroit caché des cœurs l’amertume qui les ronge, tous ces hommes contents, ces maisons agréables, ces cercles légers, ne seraient plus qu’une multitude d’infortunés rongeant le frein qui les comprime, et dévorant la lie épaisse de ce calice de douleurs dont ils ne verront pas le fond. Ils voilent tous leurs peines ; ils élèvent leurs fausses joies, ils