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J’entends dire et répéter que nos rêves dépendent de ce dont nous avons été frappés les jours précédents. Je crois bien que nos rêves, ainsi que toutes nos idées et nos sensations, ne sont composés que de parties déjà familières et dont nous avons fait l’épreuve ; mais je pense que ce composé n’a souvent pas d’autre rapport avec le passé. Tout ce que nous imaginons ne peut être formé que de ce qui est ; mais nous rêvons, comme nous imaginons, des choses nouvelles, et qui n’ont souvent, avec ce que nous avons vu précédemment, aucun rapport que nous puissions découvrir. Quelques-uns de ces rêves reviennent constamment de la même manière, et semblables dans plusieurs de leurs moindres détails, sans que nous y pensions durant l’intervalle qui s’écoule entre ces diverses époques. J’ai vu en songe des sites plus beaux que tous ceux que j’aurais pu imaginer, et je les ai vus toujours les mêmes. Dès mon enfance je me suis trouvé, en rêve, auprès d’une des premières villes de l’Europe. L’aspect du pays différait essentiellement de celui des terres qui environnent réellement cette capitale, que je n’ai jamais vue ; et, toutes les fois que j’ai rêvé qu’étant en voyage j’approchais de cette ville, j’ai toujours trouvé le pays tel que je l’avais rêvé la première fois, et non pas tel que je le sais être.

Douze ou quinze fois peut-être, j’ai vu en rêve un lieu de la Suisse que je connaissais déjà avant le premier de ces rêves ; et néanmoins, quand j’y passe ainsi en songe, je le vois très-différent de ce qu’il est réellement, et toujours comme je l’ai rêvé la première fois.

Il y a plusieurs semaines que j’ai vu une vallée délicieuse, si parfaitement disposée selon mes goûts, que je doute qu’il en existe de semblables. La nuit dernière je l’ai vue encore, et j’y ai trouvé de plus un vieillard, tout seul, qui mangeait de mauvais pain à la porte d’une petite